Regards croisés sur la professionnalisation du football au Burkina Faso
[NOTE DE L’ADMINISTRATION : Cet article est publié dans le cadre des productions de fin de cycle des stagiaires de l’ISTIC. Le présent travail est en attente de validation d’un jury]
1960, le Burkina Faso met en place la Fédération Burkinabè de Football sous la tutelle du Ministère des Sports. Une année plus tard en 1961, le championnat burkinabè de football voit le jour. En 2014, c’est la ligue de football professionnel (LFP) qui est créée. L’objectif est de structurer et de rendre professionnelle la pratique du football. Mais 60 ans après, force est de constater que de nombreux clubs de football sont toujours au stade amateur. Constat sur le terrain avec des acteurs, des observateurs et des spécialistes des questions de football.
Julien Tiendrébeogo, économiste du sport : « La plus grande plaie du football burkinabè, c’est le bénévolat » © Ismaël Saydou GANAME
Il est 7h00, ce matin du 12 mai 2022 quand nous faisons notre entrée dans le bureau de Julien Tiendrébeogo, économiste du sport. Après les salutations d’usage, nous rentrons dans le vif du sujet. Avec lui, il est question de savoir ce qu’est un club de football professionnel.
Pour Julien Tiendrébeogo, « c’est la situation de l’athlète qui détermine le niveau du championnat. Un sportif professionnel, c’est quelqu’un qui travaille et qui arrive à vivre de sa rémunération. La définition du professionnalisme du football découle surtout de la situation de l’athlète (…). Le travail qu’il fait, il est rémunéré plus que l’effort qu’il a fourni. S’il arrive à le faire, c’est en ce moment qu’on va dire que le football est professionnel».
Face à notre micro, dans un bureau spacieux devant son ordinateur, cet économiste du sport ayant travaillé sur la question, nous fait comprendre que plusieurs autres aspects, en plus de la situation financière, doivent être pris en compte. « On a l’environnement du travail, la situation de sécurité sociale du joueur, la situation administrative du club, quel est le modèle économique, est-ce en association, en entreprise ?», explique-t-il.
Un club professionnel rime avec trois aspects
Pour en savoir davantage, nous allons à la rencontre de Dr Salfo Ilboudo. Il vient de soutenir une thèse en sport. Auparavant, il a défendu un master sur le thème, « Professionnalisation du football Burkinabè : analyse d’une problématique globale et éléments de méthodologie organisationnelle ».
C’est au Comité National Olympique des Sports Burkinabè (CNOSB) que nous le rencontrons. Selon lui, c’est la situation organisationnelle du club qui permet de dire qu’il est professionnel. « Dans le domaine du sport d’une manière générale. Lorsqu’on parle de professionnalisation, la littérature nous envoie à trois aspects. La professionnalisation des structures, c’est-à-dire le fait de quitter le volet associatif pour aller vers les sociétés sportives (ndlr : les clubs de football au Burkina Faso sont érigés en association à but non lucratif). La professionnalisation des activités, c’est-à-dire des activités bénévoles vers des activités qui produisent des ressources. Et la professionnalisation des acteurs. C’est-à-dire que les joueurs seront maintenant des gens qui ont une profession et qui en vivent pleinement. Ce sont les trois aspects qu’il faut réunir pour parler de professionnalisation dans le domaine du sport», a-t-il détaillé.
Toujours dans le but d’en savoir plus sur la définition du football professionnel, nous posons nos valises chez Luc Pagbelem, journaliste sportif à la télévision BF1. Pour lui, il faut en plus de cette réorganisation des clubs et des instances, l’édification d’infrastructures sportives.
Pour qu’un championnat soit taxé de professionnel, il faut pour Luc Pagbelem « disposer de terrains couverts avec des tribunes (…)».
« Les dirigeants que nous avons eus jusque-là, ce n’est pas forcément des gens qui ont eu des projets de développement pour le sport » (Ibrahim Kabré)
Après nous être abreuvé à toutes ces sources de connaissances, nous marquons une pause sur la pelouse de l’ISTIC pour faire le point. Un football pour être qualifié d’être professionnel doit répondre à trois critères. D’abord, les joueurs doivent être bien payés. Ensuite, les clubs doivent être structurés en sociétés sportives. Et enfin, le football doit disposer d’infrastructures de qualité.
Pour vérifier le premier critère, nous prenons rendez-vous avec Landry Banady, joueur de l’Étoile Filante de Ouagadougou. Il y joue depuis deux (02) ans. Auparavant, il est passé par Bobo Sport puis l’As Maya. Il vit en colocation avec un autre joueur dans une cour commune située à Dassasgho à Ouagadougou. Déjà, on est loin des beaux appartements luxueux des joueurs internationaux !
Landry ne donne pas de détails sur son salaire. Toutefois, dit-il, « on arrive à se débrouiller. On fait avec ce qu’on a. C’est souvent difficile mais le football, c’est notre passion. L’objectif est de pouvoir aller à l’extérieur». Nous insistons pour en savoir plus mais Landry refuse de nous révéler le montant de ses gains mensuels. Cependant, il nous fait savoir qu’au temps de Bobo Sport et de l’As Maya, il pouvait faire des mois sans être payé. Nous sommes donc fixés. Il ne gagne pas sa vie comme il voudrait. Voilà pourquoi il a un objectif : aller à l’extérieur !
Passons au second critère. Les mossis disent, « sokré la bangré », c’est-à-dire que « le savoir appartient à qui sait demander ».
Nous enfourchons notre moto, le kit MOJO (Mobile journalism) en main. Notre premier arrêt se fait chez Adama Salemberé. C’est dans le nouveau studio de l’AIB (Agence d’information du Burkina) qu’il nous reçoit. Des échanges, il ressort que les clubs de football sont toujours érigés en association sportive et non pas en société sportive.
Une situation qui a ses conséquences. « Quand vous êtes organisés en société sportive, vous êtes obligés de travailler avec des objectifs bien précis. Au Burkina Faso, les clubs n’évoluent pas de cette façon. Les dirigeants surtout n’essaient pas de faire ces efforts pour aller chercher ces actionnaires, ces partenaires, pour pouvoir organiser ces clubs en société sportive pour que le football soit professionnel», développe Adama Salemberé.
De son côté, Ibrahim Kabré, consultant sportif, pointe du doigt le manque d’ambition des dirigeants de clubs depuis la mise en place du championnat. « Les dirigeants que nous avons eus jusque-là, ce n’est pas forcément des gens qui ont eu des projets de développement pour le sport.
(…) A la tête des clubs, ils ont eu juste besoin de personnes qui puissent financer le football tout de suite et maintenant sans pour autant avoir une projection sur le long terme en matière de restructuration, d’organisation et construction des infrastructures», ajoute-t-il.
Que disent les dirigeants de clubs de football ? Nous avons tenté de rentrer en contact avec eux notamment, l’ASFA-Yennega, l’EFO et le RCK. Mais nous sommes tombé sur le prétexte du calendrier chargé.
Toutefois, Ibrahim Kabré estime qu’il subsiste de l’espoir. Des clubs tentent de renverser la tendance.
« Il y a des clubs qui ont envie de renverser la tendance, dit-il. Quand vous prenez par exemple, SALISTAS, c’est le club qui fonctionne de lui-même à travers ses gains. Le président n’a pas besoin de mettre de l’argent dans le club pour le faire fonctionner. C’est à travers la vente des joueurs que le club arrive à se prendre en charge. Vous avez Rahimo qui fait beaucoup de transferts aujourd’hui. Vous avez Majestic, KOZAF. Quand vous regardez l’ossature de l’équipe nationale de football du Burkina Faso, c’est alimenté par des joueurs qui sont formés soit par SALISTAS, Rahimo, Majestic ou KOZAF. Pour moi, ce sont des clubs émergents qui travaillent. Il y a Tenankourou qui sort, il y a le Real du Faso qui arrive».
Pour lui, tous les anciens clubs doivent désormais s’en inspirer.
Championnat professionnel rime avec infrastructures de qualité
Il reste le dernier critère. Les infrastructures sportives. « Notre championnat n’est toujours pas professionnel car le minimum manque. Nous n’avons toujours pas d’infrastructures de qualité ». Ce sont les mots de Luc Pagbelem lorsqu’il nous donne de son temps pour répondre à nos préoccupations au siège de la télévision BF1.
« Quand vous prenez au niveau des infrastructures, pour les terrains, il n’y en a pas assez. Et les stades qui existent ne sont pas dans les règles. On est toujours dans un championnat semi-professionnel où vous avez des matchs de première division, des grands matchs qui se jouent sur des terrains qui laissent à désirer. Vous voyez le terrain du stade Batiebo Balibié à Koudougou et même un terrain à Ouahigouya, d’autres à Koupéla. Ce ne sont pas des terrains où normalement, on devait avoir des matchs de football professionnel. Malheureusement, c’est ce qui se passe. Voilà pourquoi, jusque-là, on n’est pas encore arrivé au professionnalisme de notre football», a-t-il développé.
Le plus grand stade du Burkina Faso, le stade du 4-Août est en effet suspendu depuis mars 2021 car ne répondant pas aux normes internationales. En cours de normalisation, il ne devrait être ouvert qu’en fin 2022. Plusieurs stades au Burkina Faso sont en état de dégradation avancée, constatons-nous. C’est le cas des stades de Koudougou, Manga, Koupéla et du deuxième plus grand stade du Burkina Faso, le Stade de Wobi de Bobo-Dioulasso.
Les causes du hors sifflé contre le football professionnel burkinabè sont ainsi connues. « Un problème sans solution est un problème mal posé », disait Albert Einstein. Le problème est bien posé. Le portrait-robot des solutions ne devrait donc plus poser… problème !
[Podcast] Football professionnel au Burkina Faso: quel modèle économique ?
Ismaël Saydou GANAME
Assistant stagiaire en journalisme
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